L’enfance de Rousseau et de Stendhal à travers leurs œuvres (1)
Sommaire
Introduction
I. souvenirs d’enfance
a) J.J. Rousseau et le paradis perdu
Introduction
Depuis le XVIe siècle, l’époque de l’humanisme, le "moi" fait l’objet de l’attention des écrivains. Il se manifeste à travers diverses formes dont l’une est l’autobiographie. Celle-ci permet d’exprimer le souci de se connaître (Montaigne), le désir d’une autojustification (Rousseau) et le plaisir de traduire une haute idée de sa personne. Rousseau introduit la notion de l’enfance et son influence sur tout le reste de la vie.
Les références que nous trouvons sur l’étude littéraire de cette période remontent à Montaigne et à Rabelais. Le XVIIe siècle prend conscience de sa particularité et tout le XIXe siècle la glorifie. L’importance de cette époque et celle de ses souvenirs apparaissent sous la plume de Rousseau et de Stendhal comme un élément constitutif de la personnalité. Nous essayerons alors, de comparer leur vue envers ce moment initial et fondateur de l’existence telle qu’elle apparaît dans leur autobiographie.
I. souvenirs d’enfance
Sous l’influence de Rousseau, la peinture de la sensibilité de l’âme devient le grand sujet des œuvres préromantiques et romantiques telles que Paul et Virginie de Bernardin de Saint- Pierre, Oberman de Senancour, et René de Chateaubriand.
Le souvenir devient alors un élément de la vie intérieure qui alimente la sensibilité, active l’esprit et l’oriente vers les intuitions. Il est "l’espérance renversée" comme le prétend Flaubert; on regarde l’abîme du passé comme on a regardé un jour le sommet de l’avenir.
Nous étudierons la place et l’importance des souvenirs de l’enfance d’abord dans, Les Confessions de Rousseau et ensuite, dans la Vie de Henry Brulard de Stendhal.
a) J.J. Rousseau et le paradis perdu:
En vue d’une autojustification, Rousseau se met au travail dans le but de brosser le tableau de sa vie: "Moi, moi seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes" dit-il.
Il croit à ce qu’il dit et décide alors de prouver la réalité de son existence. Pour la première fois dans l’histoire littéraire, l’enfance devient le sujet d’une oeuvre autobiographique.
Les recherches scientifiques ont prouvé que les traits de caractère et de conduite, tout au long de la vie, trouvent leurs racines dans cette période, considérée comme la source de la personnalité. Dès les premières pages, Rousseau remonte à ses origines et à ses souvenirs d’enfance où se trouvent les premières traces de sa personnalité.
Les premières pages des Confessions donnent une image idéalisée du couple parental, d’une famille aimante dans laquelle l’enfant est aimé par tous les siens. Comme l’affirme Jean Starobinski, l’enfant Jean-Jacques "a besoin d’avoir pour témoins des grandes personnes qui l’aiment et l’approuvent". L’atmosphère familiale est donc bien douce et entretenue par des êtres bienfaisants: tante Suson, la Mie (la nourrice), le père, Mlle Lambercier avant la punition injuste, Mme Warens et à la limite, Dieu.
L’enfance de Rousseau représente la forme la plus pure du bonheur, un bonheur essentiellement affectif; on constate dans ses Confessions la présence du verbe "aimer" qui se conjugue à toutes les personnes: "j’aimais, j’étais aimé, nous nous aimions tous" il ajoute aussi: "je vois tout le monde content de moi et de toutes choses".
Cette période brille devant ses yeux comme un âge d’or où il s’imagine avoir vécu dans l’ignorance du mal. Selon Starobinski, cet âge d’or du bonheur est un aller et venir "sous le regard d’un être divinisé ou d’un dieu qui protège; être reconnu, avoué par lui. comme un enfant, lui offrir, à cet être transcendant, à "ce spectateur" qui n’est pas incommode mais laisse à l’enfant toute l’aise qu’il peut souhaiter, un cœur pur" (Lecture du premier livre des Confessions, in Lettres d’Occident. Neuchàtel. La Baconnière. 1958. p. 184). Il peut être l’enfant devant un dieu c’est à dire un être divinisé mais aussi devenir dieu.
Le paradis de Jean-Jacques peut être la chambre de tante Suzon, la Campagne de Bossey, le verger des Charmettes. Mais il connaît de courts moments délicieux dans ces paradis puisque le malheur et la persécution le rejoignent bientôt.
Le paradis peut être de même le règne tranquille de la Présence qui permet l’accord de l’enfant insouciant et de Dieu qui est omniscient. L’enfant et Dieu échappent à la succession du temps parce qu’ils existent dans l’instant où ils se rejoignent. Rousseau se dira "insouciant comme un enfant ou impassible comme Dieu même" (L’oeil vivant, p. 78). Il est au niveau le plus bas et au sommet de l’activité spirituelle, dans l’abandon enfantin et dans l’identification avec Dieu. Chez Rousseau comme chez les mystiques, le supérieur et l’inférieur sont capables de coïncider.
En feuilletant les pages d’or des souvenirs d’enfance, Rousseau réfléchit aux procédés éducatifs par lesquels il s’est formé. On sait qu’il se montrait soucieux de l’éducation de l’enfant (Emile en témoigne) et il se donnait pour but de la développer en respectant la nature pure de l’enfance: l’influence des livres et des héros, des milieux et des maîtres, celle des "sentiments tendres, affectueux, paisibles" formaient le fond de son caractère.
Il essaye d’analyser la méthode éducative par laquelle il s’est formé, pour trouver des traits qui avaient contrarié son caractère et qui contrariaient généralement, la nature enfantine.
Il écrit à ce propos: "la tyrannie de mon maître finit par me rendre insupportable le travail que j’aurais aime, et par me donner des vices, que j’aurais haïs, tel que le mensonge, la fainéantise, le vol". Selon Rousseau, le comportement d’un maître est si délicat qu’il a même le pouvoir de brimer les sentiments purs et les talents remarquables de l’élève.
Puisque Rousseau est un autodidacte, il s’intéresse à l’organisation d’une méthode instructive. Il préfère étudier le latin, la géométrie et la philosophie le matin, la géographie et l’Histoire après le déjeuner car ces dernières n’exigent pas une réflexion approfondie. Il avoue qu’il n’a pas pu faire en même temps l’apprentissage et les occupations champêtres.
A son avis, il ne faut pas "faire à la fois deux ouvrages" et il n’arrivait jamais à les bien accomplir parallèlement.
On dirait que Rousseau écrit l’histoire du bonheur perdu de son enfance, colorée des peines et des joies, et celle de l’enfance de l’humanité, comme des époques mythiques du bonheur innocent que la société brise. Celle-ci l’oblige à dissimuler son désir, à mentir et à affronter l’injustice.
Azadeh Beh-Azine
Source:Revue Le Pont, N:4, été 2007, PP.18-19.