Témoignages sur l’influence de la Révolution islamique d’Iran sur la résistance palestinienne
Tebyan vous introduit à l’ambiance intellectuelle créée par la Révolution islamique d’Iran dans les années 1970-1980 sur la scène politique et religieuse arabe grâce aux extraits de deux interviews de qualité retranscrits ici.
Entretien réalisé par Nicolas Dot-Pouillard en décembre 2008
Mounir Chafiq, chrétien palestinien converti à l’Islam, a été membre du Bureau de planification de l’OLP, et de la direction du Fatah, et l’un des animateurs de sa tendance de gauche au cours des années 1970. Il est le principal concepteur de la Brigade étudiante du Fatah. Proche du numéro deux de l’OLP, Abou Jihad 37, il a également été, dans les années 1980 l’un des inspirateurs des Brigades du Jihad islamique en Palestine38, un mouvement armé intégré, à ses débuts, dans Fatah. Il reste une figure importante du paysage intellectuel et politique palestinien et arabe, et préside aujourd’hui la Conférence nationaliste et islamique (CNI)39, qui réunit régulièrement la quasi-totalité des partis politiques islamistes et nationalistes arabes. Fondateur de la revue al-Mouazin, publiée à Beyrouth, il reste une référence pour la mouvance islamique et nationaliste.
Saoud al Maoula est libanais, aujourd’hui Professeur à l’Université libanaise, et membre du Conseil arabe pour le dialogue islamo-chrétien et du Conseil supérieur chiite. Il a été rédacteur en chef de la revue al-Wahda al-islamiya (l’Unité islamique). C’est un ancien militant de la Brigade étudiante du Fatah, qu’il intégra après un court passage à l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL) en 1969, et au Noyau du peuple révolutionnaire (NPR).
Entretien avec Mounir Chafiq:
Quel a été l’impact de la Révolution iranienne sur la Brigade étudiante du Fatah, et plus largement, sur la gauche libanaise et palestinienne?
La Révolution iranienne a provoqué une très grande adhésion dans la gauche, et dans le nationalisme palestinien, à ses débuts, car elle était perçue comme une révolution anti-impérialiste. Il y a donc deux dimensions: une dimension politique, et une dimension personnelle, subjective. La dimension politique d’abord: il faut voir les choses d’un point de vue historique, par rapport aux changements de rapports de force dans le cadre mondial. En 1975, tu as la victoire du mouvement national vietnamien. Elle signe une très grosse perte historique pour les Américains. Ca a été un encouragement pour tous les mouvements de gauche, pour les Palestiniens, pour nous, au Liban, au Moyen-Orient. Et partout ailleurs. Et les Soviétiques ont pu être alors à l’offensive. En Asie, au Moyen-Orient, au Mozambique, Angola, en Afrique, en Amérique latine, les Soviétiques sont allés à l’offensive, et le Président Carter ne pouvait pas les contrer. Mais en 1979, il y a deux événements d’ampleur qui viennent brouiller cette bipolarité URSS/USA: l’invasion soviétique en Afghanistan, et la Révolution iranienne. L’invasion s o v i é t i q u e mo n t r e q u e l a q u e s t i o n d e l’autodétermination des peuples est en réalité secondaire pour les Soviétiques. La Révolution iranienne, elle, montre qu’il peut y avoir une voie anti-impérialiste en dehors du jeu des deux blocs URSS-Etats-Unis. La force de la Révolution iranienne, c’est d’avoir rompu avec cette bi-polarité historique, c’est d’avoir été une nouvelle voie pour les opprimés. C’est comme cela que beaucoup de cadres politiques comme moi ou d’autres l’avons perçue. Parce que la force de la Révolution islamique, c’est d’avoir été une révolution populaire, d’avoir parlé au coeur des masses. C’était la première fois qu’il y avait une révolution de cette ampleur dans la région. La Révolution iranienne, c’est l’islam qui revient dans l’histoire, dans une histoire dont on avait voulu le chasser, mais qu’on a jamais réussi à vraiment chasser. La Révolution iranienne est la preuve que l’islam était toujours là, prégnant. Ensuite, la Révolution iranienne a détruit l’un des plus importants soutiens des USA et d’Israël dans la région. C’était un séisme politique. C’est pour cela que tous les leaders nationalistes sont partis en Iran voir Khomeiny après la révolution, dont Yasser Arafat, qui a fait une arrivée triomphale à Téhéran.
On percevait que ça allait changer le rapport de force dans la région. C’est parce que la Révolution iranienne venait directement servir notre lutte de libération palestinienne, sa libération, sa résistance, que nous avons vraiment adhéré à son message. Mon idée première restait la Révolution palestinienne, et politiquement, la Révolution iranienne venait aider notre révolution.
A partir de cette dimension politique est née la dimension personnelle. Il y a eu quelque chose qu’on a ressenti et qui était nouveau : moi je l’ai ressenti profondément. C’était que l’islam était là, et que l’islam pouvait être une source immense de révolution, et une source vraiment populaire. Et là notre point de vue a vraiment changé, à un niveau personnel. Et ce qui m’a fait vraiment réfléchir, ce n’est pas la révolution elle-même, en Iran: ce sont les effets incroyables de la Révolution iranienne sur les masses arabes et les masses palestiniennes. Ca m’a touché, ça m’a troublé, c’était quelque chose de très profond.
La Révolution vietnamienne, par exemple, a eu une grande portée politique au Moyen-Orient, sur notre politique, sur notre vision, nos méthodes, sur les cadres politiques. Mais elle n’a pas touché les masses, à un niveau populaire, les masses soutenaient les Vietnamiens, mais je ne parle pas de soutien, je veux parler de quelque chose qui te touche. La Révolution iranienne, c’était plus que du soutien: ça a été une véritable adhésion dans les masses populaires.
Quelque chose qui a touché l’esprit et le cœur des masses populaires arabes et des plus pauvres. Et cela, c’était tout à fait nouveau. Et l’aspect islamique permettait une adhésion totale, une sympathie immédiate, quelque chose dans l’esprit et le cœur, qui n’est plus seulement politique, et qui n’est pas idéologique.
Entretien avec Saoud al-Mawla:
Mais est- ce qu’il y a une continuité entre les concepts marxistes que vous employiez auparavant, et votre adhésion à la Révolution islamique?
Oui, bien sûr. Si je dois résumer tout cela, c’est à travers deux concepts marxistes. La première chose qui a joué un rôle, c’est ce concept très important, maoïste, de ligne de masse. C’est un concept que je n’ai jamais abandonné. C’était ma ligne, et c’est ma ligne, pour mener et aider la révolution et la libération. Dans ce sens, j’étais maoïste, mais ce concept a favorisé ma connaissance de l’islam, l’ouverture sur autre chose.
Que veut dire cette idée centrale que l’avant-garde révolutionnaire doit être l’accoucheuse de l’histoire? Je crois que le mouvement islamique au Liban et en Palestine a essayé d’aboutir à un autre concept d’avant-garde. Une avant-garde qui ne soit justement qu’une accoucheuse. Lorsque la sage-femme aide l’enfant à venir au monde, elle ne fait justement que l’aider en un sens. Ce n’est pas l’accoucheuse qui va changer les traits physiques de l’enfant, son poids, son code génétique: elle peut favoriser des éléments, ou les défavoriser, c’est vrai. Mais il y a une donnée qui est déjà là. Pour l’avant-garde révolutionnaire, c’est la même chose: tu peux favoriser un processus révolutionnaire, mais il y a des données qui sont là, historiques. Tu ne peux intervenir dans une société sans prendre en compte son histoire politique, sociale, culturelle, tous ces éléments enchevêtrés. (…) Et qui a fait que quand il y a eu oppression au nom de l’islam, il y a eu en contrepartie une résistance se fondant et s’appuyant sur l’islam. Il y a pour moi dans cette thèse de la ligne de masse et de l’avant-garde qui ne fait qu’accoucher d’une histoire à laquelle tu ne peux échapper un caractère scientifique profond : c’était la conception de la Brigade étudiante, et c’est pourquoi nous sommes pour beaucoup passé à l’islam politique. La révolution vient du plus profond d’une société, pas d’un parachute. Pas d’un parachute occidental. (…)
Avec la Révolution iranienne, une dynamique islamique s’est emballée. Les groupes musulmans ont commencé à occuper une position d’avant-garde, en Palestine et ailleurs, et dans la lutte pour défendre les intérêts des peuples de la région, notamment sur la question de l’unité. Beaucoup ont analysé cela et ont pensé que la montée du courant islamique était du essentiellement aux échecs des régimes nationalistes et des mouvements de construction nationale et d’indépendances.
Il y avait tendance à considérer l’islamisme comme une réaction à l’échec du nationalisme. A mon avis, au contraire, ce qui est la donne fondamentale dans cette région, c’est l’islam. Et ce qui est conjoncturel, ce sont les tentatives de modernisation dans le sens de l’occidentalisation. La donne islamique est la donne authentique, une donne fondamentale dans cette région. Les idéaux de justice, ou de lutte contre l’oppression, sont des idéaux qui dans la conscience collective ont été incarnés par ces figures islamiques. L’islam n’est pas un parti politique. Ni une Eglise. C’est une donne culturelle, politique et civilisationnelle, dans le sens global du terme. (…) On était des intellectuels, qui étaient sur le terrain. Et c’est pour cela, quand la Révolution iranienne est venue, on était déjà là, déjà sensibilisé à l’islam, parce que l’on avait adopté un marxisme non dogmatique. Et cela ne s’est pas fait sur des bases idéologiques ou religieuses. C"est-à-dire qu’on a vu dans l’islam une force de civilisation, et de politique, un courant civilisationnel, qui peut grouper des chrétiens, des marxistes et des musulmans, l’Islam comme une riposte, un chemin de lutte, contre l’impérialisme, pour renouveler nos approches, nos idées, nos pratiques politiques. On a choisi d’aller au sud, au lieu de s’impliquer dans la guerre civile, avec l’accord de l’Imam Moussa Sadr, qui nous a aidés. On ne voulait pas s’impliquer dans la guerre civile, dans les luttes internes. Ca a favorisé notre implantation dans la région de Bint Jbeil.
Et dès cette période, on a vu des relations spéciales avec le chiisme libanais. Surtout avec les Imams Chamseddine et Moussa Sadr. Personnellement, j’étais alors très proche de Chamseddine. On commençait à discuter de théologie. Et ça a créé une dimension nouvelle dans mon évolution intellectuelle et personnelle, à travers ces discussions personnelles avec les deux imams. Et au niveau de la base, pas seulement des intellectuels, ce changement était encore plus vécu, vers l’islam. Car il n’y avait pas ces obstacles intellectuels, marxistes, chez ceux qui étaient à la base. Le changement était plus spontané, naturel. Et avec la révolution iranienne, plusieurs militants se sont identifiés naturellement avec l’Iran. Surtout chez les chiites. Mais aussi chez les sunnites, car il y avait la montée de l’islam militant en Egypte. L’islam militant politique a fini par nous appeler, et on voulait donner une contribution à cet islam politique.
Source: «De Pékin à Téhéran, en regardant vers Jérusalem: la singulière conversion à l’islamisme des « Maos du Fatah» , Nicolas Dot-Pouillard in Cahiers de l’Institut Religioscope, Numéro 2, Décembre 2008
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