Ségrégation des chiites sur la scène politique koweitienne
Mais en pratique, il en ira tout autrement, ceux-ci se voyant refuser leur intégration au sein du Conseil au motif qu’ils n’avaient pas participé à la bataille ayant opposé, un an plus tôt, à Jahraa, le Koweït aux troupes saoudiennes d’Ibn Saoud. Dans les faits, la crainte de la famille régnante s’expliquait par la réputation des chiites du pays, qui étaient soupçonnés de vouloir faire allégeance à l’Iran voisin.
Cette suspicion visait d’ailleurs essentiellement les ’ajam, réputés alors former la moitié des chiites nationaux, et que l’on craignait de voir entraîner dans leurs hypothétiques accointances pro-iraniennes l’ensemble de leurs coreligionnaires.
Ces motifs ne seront évidemment pas du goût des chiites du Koweït, qui continueront à porter ces mêmes revendications au fil des années. Les premières tensions manifestes apparaîtront en 1938, quand, à un nouveau refus de la famille régnante koweitienne de les intégrer au Conseil consultatif, ceux-ci menaceront d’adopter la nationalité du «protecteur» britannique de l’émirat. Ce sera l’occasion pour le majliss d’interpréter cette menace comme étant un défi à l’encontre de la nation, et d’adopter un décret menaçant d’expulsion quiconque viendrait à prendre une nationalité autre que la koweitienne. Les chiites koweitiens décideront alors de changer de stratégie, et mettront en place une entreprise de rapprochement avec la famille régnante, de manière à se rémunir des actions d’un majliss qui restait pour beaucoup soumis aux volontés de l’émir 1.
Ce n’est qu’avec l’indépendance du Koweït (1961) que les nationaux chiites pourront prétendre à un début de représentativité politique effectif. Celle-ci a d’ailleurs été rendue possible par la volonté qu’avait alors l’émir du pays de contrer le sentiment panarabe
ascendant au sein de sa population. En 1938, le cheikh Ahmad al-Sabah avait ainsi empêché ce qu’il avait interprété comme une tentative de coup de force de la part de cette communauté à son encontre en jouant sur les classes nationales. Ainsi, la volonté de représentativité étant alors portée par des chiites au statut de marchands, pour la plupart d’entre eux, c’est en opérant une alliance avec des notables chiites qu’il réussira à les dissuader d’aller plus loin.
Note:
1. La méfiance des dirigeants de la péninsule arabique vis-à-vis de «leurs» chiites a d’ailleurs été une constante qu’ils partageaient tous, même à des périodes différentes. Voir Graham Fuller, Rend Rahim Francke, The Arab Shi’a: The Forgotten Muslims, Library of Congress, 1999, p. 21.
Source: Barah Mikhail, La question de la Marja’iyya chiite, Paris: IRIS, 2006
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