Les chiites d’Arabie saoudite
La donne chiite en Arabie saoudite exprime une importance sociopolitique jusqu’à un certain degré, et géopolitique en tous cas qu’il convient de garder à l’esprit. Le royaume saoudien, qui concentre sur son territoire environ 25% des réserves pétrolières mondiales 1, connaît en effet une particularité notable: ses zones pétrolifères, concentrées à l’Est du pays, coïncident presque exclusivement avec les zones peuplées par des citoyens de confession chiite. Cet élément est loin d’être anodin.
Car l’invasion de l’Irak en mai 2003, et le schéma politique fédéral qui en est issu, expliquent en grande partie les craintes exprimées par le gouvernement saoudien, pourtant proche allié des Etats-Unis, quant à la possibilité qui se verrait dorénavant posée de voir émerger un «croissant chiite» dans la région.
Cette éventualité, du point de vue de Riyad, générerait de facto une alliance chiite extranationale qui aurait pour conséquence la perte par l’Etat saoudien du contrôle qu’il a sur ses provinces à majorité chiite, toutes pétrolifères. Il est d’ailleurs à noter que ces craintes répondent, en partie, à une inquiétude que le royaume exprimait déjà au début des années 1970. Au lendemain du choc pétrolier de 1973, beaucoup de rumeurs avaient en effet circulé concernant des plans américains qui auraient eu pour ambition d’encourager une scission du royaume en fonction de facteurs confessionnels. Les Etats-Unis ayant, selon ce scénario, entière mainmise sur les affaires de la communauté chiite saoudienne, il leur aurait ainsi été très facile de tirer profit du pétrole présent sur leurs zones d’habitation sans pour autant devoir s’encombrer des décisions du pouvoir politique saoudien. L’islam saoudien est pourtant extrêmement diversifié dans les faits. Le noyau originel et idéologique du royaume reste le wahhabisme, certes. Mais les citoyens saoudiens répondent à des différenciations d’ordre théologique bien plus poussées qu’on ne pourrait le supposer de prime abord. Ainsi, pour ce qui relève du seul islam sunnite, on y trouve des musulmans d’obédience hanbalite, hanafite, malékite ou chaféite. De même, le chiisme saoudien n’est en rien monolithique, puisque imamites-jaafarites, zaydites et ismaélites sont les trois «frères ennemis» du chiisme saoudien qui coexistent dans le pays. De plus, ces différenciations interchiites répondent à une logique spatiale consubstantielle. Ainsi, les chiites imamites, qui forment le plus gros de cette communauté en Arabie saoudite, se retrouvent dans la partie Est du royaume. Mais les Ismaélites coïncident quant à eux avec la partie Sud du pays, et plus particulièrement dans la province de Najran, où environ 100 000 d’entre eux résident.
Quant aux Zaydites, on les retrouve plus largement dans plusieurs des provinces situées au Sud comme à l’Ouest de l’Arabie saoudite. Au total, les Saoudiens chiites constitueraient ainsi 10 à 15% de la population du pays, soit un ensemble d’environ deux millions de personnes. A noter cependant que, parallèlement aux villes et régions précitées, on retrouve aussi, quoique en nombre restreint, des chiites nationaux dans les villes saintes de l’islam que sont Médine et la Mecque.
Note:
1. D’après les données du CIA World Factbook: https://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/sa.html
Sur le chiisme en Arabie saoudite dans une perspective historique puis contemporaine, voir Adnan ‘Aliãn, Jozour al-tashayyo’ fî al-khalîj wal-jazîra al-‘arabiya : al-shî’a wal-dawla al-‘irâqiya al-hadîtha (Les racines de la «chiitisation» dans le Golfe et la Péninsule arabique: les chiites et l’Etat irakien moderne), op. cit., pp. 95-
125.
Source: Barah Mikhail, La question de la Marja’iyya chiite, Paris: IRIS, 2005
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