Chiites d’Arabie: traditionalistes et chiites libéraux
Enfin, Traditionalistes et chiites libéraux, bien que constituant deux autres ensembles chiites distincts, sont à prendre en considération, même s’il convient également d’être conscient de leur aspect extrêmement marginal et périphérique. Ainsi les Traditionalistes n’existent-ils qu’en tant que groupe de personnalités religieuses diverses, très connotées idéologiquement, et qui se caractérisent aussi bien par une opposition au Cheikh al-Saffar que par un refus intransigeant de composer avec la dynastie des Saoud. Tous points qu’ils partagent avec le Hezbollah saoudien, certes, mais avec une nuance importante: leur refus de se fondre dans le cadre de mouvements nationaux. C’est à ce titre que l’un des Traditionalistes saoudiens les plus réputés, le Cheikh Namr Baqer al-Namr, insiste régulièrement, lors de ses prêches et déclarations médiatiques, sur la nécessité pour les chiites saoudiens de s’organiser en tant que communauté une et apolitique tout en prônant une affiliation avec le Marja’ iranien Mohammad Taqî al-Moudarrisi.
Ce qui implique, de facto, une reconnaissance de sa part de la nécessité pour les chiites dans leur ensemble de se trouver un/des référent(s), qui aient pour source l’apport des hawzas et des Marja’ bien plus que les orientations politiques des gouvernements contemporains 1.
Quant aux Saoudiens chiites libéraux, qui sont tout aussi marginaux, leur rôle s’apparente beaucoup plus à celui d’intellectuels actifs engagés dans des débats autour de la question chiite saoudienne. Critiques vis-à-vis du pouvoir, ces débats ne restent pas moins le plus souvent confinés à la seule sphère privée. Certes, certains noms sont connus, phénomène favorisé par la médiatisation accordée par ces personnes par la chaîne qatarie al-jazeera par exemple, ainsi que par le développement considérable de sites Internet consacrés à des débats sur la question chiite contemporaine, et dans lesquels la péninsule arabique a le plus souvent une part non négligeable 2. Mais leurs critiques, analyses et déclarations diverses restent déconnectées de la présence de tout réseau institutionnel concret, ce qui limite grandement la possibilité pour eux de constituer dans l’immédiat un pôle national fédérateur. Ce sans compter que la plupart de ces intellectuels ont un discours qui pose le plus souvent la question de la réforme de fond en comble des institutions religieuses comme préalable à la réforme des institutions politiques, que ce soit dans leur pays ou dans le reste de la région.
Soit un appel à la mise en place d’un modèle «laïque» qui les met en porte-à-faux aussi bien vis-à-vis du pouvoir saoudien que du clergé chiite, et qui altère de surcroît leur capacité à dépasser le seul cadre du débat. Bien au contraire, c’est grâce au discours de ces intellectuels que le pouvoir saoudien peut faire valoir la présence d’une forme de «liberté de ton et d’expression» sur le plan national qui n’est cependant en rien menaçante pour sa stabilité.
Notes:
1. A noter que le Cheikh Namr al-Namr a été victime de plusieurs arrestations de la part du pouvoir saoudien, dont la dernière remonte au 12 mai 2006, date à laquelle il revenait tout droit du Bahreïn voisin, pays où il s’était rendu afin, officiellement, de participer à un colloque ayant pour thème principal «Le Coran».
2. Hamza al-Hassan, Mohammad al-Mahfouz, ou encore Najib al-Khunayzi font ainsi partie de ces intellectuels chiites saoudiens illustres par le nom.
Source: Barah Mikhail, La question de la Marja’iyya chiite, Paris: IRIS, 2005
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