L’esthétique du décor
La richesse, le type et la matière du décor dépendent des possibilités financières des mécènes, des matériaux locaux, des goûts et du talent des artistes. Le décor s’est complexifié au cours des siècles. Sobre et équilibré durant l’âge classique de l’Islam (VIIe-IXe s.), il s’est épanoui par la suite dans des formes de plus en plus recherchées, hermétiques ou spectaculaires, sans quitter ses principes originels et directeurs.
Au cours de son évolution historique, il a toujours obéi à des constantes, dont la signification déborde l’esthétique pour s’enraciner dans une vision contemplative et philosophique: l’horreur du vide (les objets ou les murs sont souvent entièrement décorés), car aucun atome n’échappe à l’omniprésence de Dieu; la répétition régulière d’un motif sur un espace délimité, car la multiplicité n’est qu’une réfraction de l’Unité divine; les variations au sein même de l’unité du décor, puisque rien ne se répète jamais dans la nature et que Dieu est infini; la symétrie et l’ordre géométrique, qui reflètent une création mesurée par l’Intelligence divine; les entrelacs et les arabesques témoignent des enchevêtrements, des rythmes et des ondulations de l’univers et de l’âme; un goût pour les jeux de lumière (miroirs, céramiques émaillées, muqarnas, etc.), car Dieu, nous dit le Coran, est «la lumière des cieux et de la terre» (XXIV, 35); un choix de couleurs pures, non mêlées de noir et de blanc, afin de souligner leur archétype et leur rattachement à la lumière créatrice de Dieu.
La composition des motifs décoratifs est comme une musique, avec des alternances, des dynamiques, des successions de contrastes, des polyphonies de thèmes et de sens. Le décor fait alors écho aux rythmes cosmiques, aux pulsations de l’âme et à la respiration de l’univers qu’anime sans cesse le Souffle (la Parole) de Dieu.
Pour l’art islamique, le décor n’est donc pas un élément factice, surimposé gratuitement à l’objet, comme il peut l’être pour l’art occidental, qui considère volontiers «l’art décoratif» comme mineur et superflu. Le décor est porteur d’une signification sociale, contemplative et même métaphysique. «Dieu est beau et il aime la beauté», dit un hadith qui fonde l’esthétique musulmane.
Pour l’Islam, Dieu seul est réel et le monde est un rêve fragile. Néanmoins, la beauté est comme un rayon du Divin, un témoignage de Sa clémence à l’égard des créatures et un symbole de Sa vérité. La fonction de la beauté, disent les soufis, est d’éveiller l’amour et l’amour mène à Dieu, là où amour et beauté ne sont qu’un.
Transformation et stylisation contemplatives de la nature, l’art islamique a pour fonction de créer une ambiance symbolique et un art de vivre conformes à l’esprit de l’Islam. Son harmonie révèle l’intimité de l’âme musulmane et sa vision du monde comme de l’Invisible. Les décors de fleurs ou de polygones s’adressent aussi bien aux sens et aux sentiments qu’à l’intelligence, au savant comme à l’homme du peuple: la sensualité d’un tapis ou un poème d’amour n’excluent pas une interprétation mystique.
L’Islam ne distingue pas radicalement le spirituel du profane, car aucune activité humaine ne se trouve en dehors de la loi musulmane et de l’unité divine: les versets coraniques ou les poèmes mystiques calligraphiés sur les objets du quotidien expriment une intention d’inclure toutes les dimensions de l’homme dans un vécu spirituel.
Source: RINGGENBERG. Patrick, Guide culturel de l’Iran, éd. Rowzaneh, Téhéran, 2005, PP.134-135.
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