Evolution des maisons de café depuis le XVIe siècle (2)
A l’époque de Shãh ’Abbãs Ier, les cafés ont atteint leur apogée. Le règne de Shãh ’Abbãs dura quarante ans. Pendant cette période, on a favorisé le divertissement populaire et le peuple en a profité pour se réunir dans les lieux de distraction comme le café traditionnel, surtout les habitants de la capitale Isfahãn. Les gens qui voulaient oublier la fatigue journalière avaient l’habitude de s’y réfugier pour se régaler des paroles des conteurs ou des gens de bon goût.
Shãh ’Abbãs Ier se rendait occasionnellement dans les cafés et y prenait un verre, parlait aux gens et écoutait les conteurs. Il y emmenait également des invités étrangers pour les divertir. Un ambassadeur espagnol en Iran a écrit, de façon quelque peu sarcastique, que le roi d’Iran divertissait gentiment des ambassadeurs dans un endroit si respectable. [1]
Les plus célèbres maisons de café à l’époque de Shãh ’Abbãs Ier sont ’Arab, Bãbâ Farãsh, Hãji Yusof, Bãbã Shams et Tufãn.
Le café de Bãbã Shams a été construit sur l’ordre du roi à Tchãhãrbãq à Isfahãn. Au début, Bãbã Shams a commencé sa carrière en provoquant des rassemblements sur les places publiques, il faisait des spectacles à Chirãz, il jouait de la musique et chantait. Comme il maîtrisait bien son spectacle en compagnie d’un jeune Georgien qui travaillait avec lui, il attira l’attention du roi. Shãh ’Abbãs Ier lui demanda que son élève (qui fut tué après 2 mois sur l’ordre du roi) [2] vienne au palais et en plus il fit construire un café pour Bãbã Shams. De temps en temps, le roi allait à ce café. Il y regardait des spectacles de naqqãli les conteurs les plus connus à cette période, comme Abdol-Razzãq Qazvini et Mollah Bikhod Gonãbadi. Il leur donnait un salaire régulier. [3]
Le café de Tufân était célèbre et c’était un endroit où se rassemblaient surtout des poètes. Deux des plus célèbres poètes qui fréquentaient ce café étaient Rashidãy-e Zargar-e Tabrizi et Mozaffar Kãshãni-e Lang.
Au début du XVIIe siècle, les cafés furent véritablement institués comme centres de distraction à la fois pour la noblesse et les roturiers. [4] En décrivant les principales places d’Isfahãn en 1631-1632, Adam Olearius rend compte des différents endroits et sortes de distractions auxquelles pouvaient accéder les habitants de la capitale.
“La maison de café est une auberge où on trouve des fumeurs de tabac et des buveurs de café. On y trouve aussi des poètes et des historiens que j’ai vus raconter toutes sortes de légendes, de fables et de choses fantastiques assis sur de hauts tabourets. Lorsqu’ils content ils gesticulent avec une baguette comme des illusionnistes.” [5]
De plus, Olearius souligne la proximité de ces centres de divertissement avec le bazar et la zone commerciale de la ville, comme c’est le cas aujourd’hui. Même le roi y venait avec ses invités et courtisans, et il semble que ces endroits étaient parfaitement respectables pour s’y reposer et se divertir.
Par ailleurs, Olearius nous informe sur un conteur qui avait l’habitude de se produire au café et qui était au service du gouverneur provincial.
“Alors qu’il était invité avec son groupe près d’Ardabil [6] à offrir ses vœux au début du banquet du nouvel an à un khãn local et à d’autres notables, il remarqua que parmi eux, à la table, se trouvait le conteur au service du khãn.” [7]
Outre son rôle de lieu de distraction, le café était aussi un lieu de réunion et de rencontre important pour le peuple iranien. C’était entre autres un endroit pour trouver un emploi, pour résoudre les problèmes quotidiens ou surmonter les difficultés passagères, comme les procès entre voisins, les conflits avec des collègues, etc. Avec la Mosquée, c’était le seul endroit de réunion véritablement autorisé pour toutes sortes de gens. Sa spécificité consistait en un mélange de toutes les classes sociales.
Notes:
[1] Falsafi, Nasrollãh,
«Darbãre-ye qahveh va qahveh-khãneh» [A propos du café et la maison de café], inSokhan, n° 5, Téhéran, 1954, P. 263.
[2] Ibid., P. 262.
[3] Karam Dashti, Mohamad, Naqqãli va sokhanvãri dar qahveh-khãneh-hã [Naqqãli et éloquence dans les cafés traditionnels], Californie, éd. Nashr-e Honar, 2004, P. 22.
[4] Falsafi, N., loc. cit. pp. 258-268.
[5] "Kahweh chane ist ein Krug/in welchem sich die Tabak smaucher und Kahweh Wassertrinker finden lassen. In solch einem Krügen finden sich auch Poeten und Historiker/welche ich mitten im Gemache auf hohen Stolen sitzen sehen/und allerhand Historien/Fabeln und Erdichtete Dinge erzählen hören. Im Erzählen phantasieren sie mit einem Stockklein/gleich die so aus der Taschen spielen." Olearius, Adam, Vermehrte Nuwe Beschreibung der Muscowitischen und Persischen Reyse, Schleswig, 1656. (réimp. Tübingen, éd. Max Niemeyer, 1971), P. 558.
[6] Ville au nord-ouest de l’Iran.
[7] Olearius, A., op. cit., P. 440.
Source: Teheran.ir