Le mouvement cubiste, origines et manifestations (2)
Article de Mohsen Assibpour publié dans la Revue de Téhéran en janvier 2007.
Guillaume Apollinaire (1880-1918) écrivit en 1912: "Le nouveau tableau est nommé "cubiste". Il a reçu ce nom à partir d’un terme de moquerie construit par Henri Matisse qui observa les formes cubiques dans un tableau de bâtiments." En octobre 1911, dans le journal parisien "L’Intransigeant", il qualifie Picasso de "créateur du cubisme": "En général, le public croit qu’un tableau cubiste est un tableau en forme de cube. Mais il n’en est pas ainsi. En 1908, nous avons vu plusieurs tableaux peints par Picasso et représentant simplement des maisons tristes qui donnent une impression de cubes au public. " C’est ainsi que cette dernière école artistique fut nommée cubiste.
Même si les avis sur les origines du cubisme sont partagés, il existe un accord sur le fait que Pablo Picasso, de par la réalisation des Demoiselles d’Avignon, ouvre la voie vers un des grands bouleversements artistiques du XXe siècle. Ce tableau, peint entre 1906 et 1907, marque les débuts de la "pensée cubiste". Picasso était ainsi un des premiers artistes à se méfier des règles de l’espace perceptible, de coloration naturelle et de représentation des corps dans les proportions naturelles. La somme de ces innovations qui allaient à l’encontre de toutes les conventions académiques du XIXe siècle inquiéta beaucoup de contemporains de Picasso et fut parfois à la source d’une critique violente.
"Je peins les choses comme je les pense, pas comme je les vois"
En 1936, une femme entra dans la vie de Picasso; une jeune photographe yougoslave qui s’appelait Dora Aar, et donc le vrai nom était Dora Markovien. Amie du poète Paul Eluard, elle fréquentait les cénacles des surréalistes et parlait l’espagnol. Durant quelques années, les portraits de ses deux muses, Marie Terse blonde et Dora Aar avec ses cheveux noirs, figurèrent inlassablement dans les toiles de Picasso. Dans ce tableau brillant et somptueusement coloré, Dora Aar, d’allure majestueuse, est représentée assise dans un fauteuil, souriante et appuyant sa tête sur l’une de ses mains. Le visage est dessiné à la fois de face et de profil, avec un œil rouge et un autre vert qui regardent dans différentes directions. Pour beaucoup de gens, ces déformations sont les caractéristiques de l’art de Picasso. De toute façon, malgré certaines distorsions, ou peut-être même grâce à elles, Picasso dépeint une ressemblance frappante qui peut même être qualifiée de " plus vraie que la vie". La déformation sert tout d’abord un but expressif: il s’agit moins de reproduire la réalité que d’exprimer ses possibilités, de la saisir dans tous ses aspects et facettes. Alors qu’Ingres utilisait le miroir pour représenter son modèle à la fois de face et de profil, comme c’est le cas dans les portraits de Madame Moitessier et de la comtesse d’Haussière, Picasso avait quant à lui recours à une synthèse graphique, à une fusion picturale développée au travers de ses expériences cubistes.
Tout est employé et exploité pour exprimer au mieux les caractéristiques physiques et le tempérament du modèle tel qu’il vit dans la réalité. Certaines marques sont également spécifiques à un modèle: ainsi, pour Dora Aar, les ongles sont recouverts d’un vernis rouge, les mains sont longues et gracieuses, les cheveux, noirs; les yeux, larges et sombres… Le visage prend soudain du volume par un jeu de couleurs et d’éclairage qui fait ressortir la joue telle une pêche.
La physionomie est agréable, mais distante. Les yeux étincellent de vie et d’intelligence. D’autre part, les signes croisés et les stries composant la structure du fauteuil, la forme carrée de la jupe et les rayures verticales et horizontales de l’arrière-plan donnent l’impression d’être dans une cellule de prison ou de monastère, et transmet ainsi l’illusion d’un modèle enfermé dans les limites d’un espace étroit et cruel.
Source: Teheran.ir